12.6.08

LE CONTRAT SOCIAL (tiré de la Conjuration Antichrétienne de Mgr Delassus

J.-J. Rousseau s'inscrivit en faux contre ces données de la raison et de la foi ; et voici ce qu'il imagina, ce qu'il consigna dans tous ses écrits, et ce que la maçonnerie s'est donnée la mission de réaliser. La société, l'état social, ne résulte point de la consti­tution de l'homme et de l'institution divine; c'est, dans le monde, une excroissance accidentelle et l'on pourrait dire contre nature, qui est survenue un beau jour par le fait des volontés humaines.
Les hommes vivaient à l'état de nature, dit J.-J. Rousseau, comme le font les sauvages, les animaux, et c'était l'âge d'or; état de liberté et d'égalité, où les fruits étaient à tous et la terre à personne, où chaque homme était citoyen de l'univers.
Pour passer de l'état de nature à l'état social, les hommes primitifs firent un pacte, un contrat, « le contrat social (1) ». D'une part, chaque indi­vidu se remit, sa personne et tous ses droits, entre les mains de tous; d'autre part, tous garantirent à chacun une part égale des biens communs. L'individu donna à la société tout ce qu'il a et tout ce qu'il est, et la société admit l'individu à la communion de toute la chose publique, de la république.
« Les clauses du pacte social, dit J.-J. Rousseau (2), se réduisent toutes à une seule : l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté... S'il restait quelques droits aux particu­liers, l'état de nature subsisterait et l'association deviendrait nécessairement vaine... L'aliénation se faisant sans réserve, l'union est aussi parfaite qu'elle peut l'être, et nul associé n'a plus rien à réclamer. »
Voilà l'idée que la maçonnerie se fait de la so­ciété, voilà le plan sur lequel elle veut la reconsti­tuer. Si longtemps que cela ne sera point complète­ment réalisé, c'est-à-dire si longtemps que les indi­vidus prétendront conserver quelques droits, l'état social, tel que le contrat l'a fait, tel qu'il doit être, ne sera point jugé parfait; l'état de nature, auquel le contrat a voulu mettre fin, subsistera en quelque chose. Le progrès, c'est donc la marche vers l'absorption complète de tous les droits par l'Etat; plus de droits pour l'individu, plus de droits pour la famille, plus de droits à plus forte raison pour une société quelconque qui se formerait au sein de l'Etat, ou au-dessus de lui.
Dans la société démocratique rêvée par la Franc-Ma­çonnerie il n'y aura plus ou il ne doit plus y avoir que ces deux Unités : l'individu et l'Etat. D'un côté l'Etat omnipotent, de l'autre, l'individu impuissant, dé­sarmé, privé de toutes les libertés, puisqu'il ne peut rien sans la permission de l'Etat.

N’est-ce pas vers cela que nous marchons à grands pas? et cette conception de la société n'est-elle point l'explication, et, pour nos maçons, la justification de tout ce qui est actuellement fait ou tenté contre la liberté de l'Eglise, contre la liberté des associa­tions, contre la liberté des familles, contre la liberté individuelle elle-même? L'Etat ne peut, ne doit souf­frir aucune association autre que celle qu'il est. Si des événements passés, si des individualités puissantes ont créé au sein de la société civile des associations distinctes, l'Etat doit travailler constamment à rétré­cir le cercle dans lequel elles vivent et agissent, jusqu'à ce qu'il soit parvenu à les absorber ou à les anéantir. Selon Rousseau, selon la Maçonnerie, c'est là son droit, c'est là son devoir, droit et devoir qui décou­lent directement du contrat social, et sans l'exercice desquels ce contrat deviendrait illusoire et bientôt caduc.
Que l'on cesse donc de s'étonner que dans cette so­ciété sortie de la Révolution, pétrie de l'idée révolu­tionnaire, l'Etat veuille tout centraliser et tout absor­ber, étouffer toute initiative et paralyser toute vie : il obéit en cela à sa loi, au principe d'après lequel il doit être tout, tout lui ayant été livré par le con­trat initial. Ce qui vit, ce qui se meut, ce qui est en dehors de lui, ne l'est et ne le fait que par une usur­pation dont il doit être rendu compte pour restitu­tion.
Cette revendication doit s'exercer surtout à l'égard des associations, parce qu'elles sont plus puissantes que les individus, et surtout à l'égard des associa­tions qui ont un idéal autre que celui de l'Etat natura­liste. Le pacte social a été contracté pour une plus complète jouissance des biens de ce monde. S'il est des sociétés formées dans le but de porter ailleurs le regard de l'homme, de l'exhorter à se détacher des biens présents pour ambitionner et poursuivre, d'autres biens, ces sociétés sont la contradiction vi­vante de la société sortie du contrat social, elles doivent disparaître avant toute autre. Le devoir est de les traquer, de les mutiler jusqu'à une complet anéan­tissement. C'est là l'explication des calomnies ré­pandues par les humanistes dans leurs écrits contre les religieux, et, des persécutions sans cesse renou­velées contre eux depuis la Renaissance jusqu'à nos jours, comme aussi, de la guerre à mort déclarée aujourd'hui à la première des sociétés religieuses, à celle qui est le fondement et le principe de vie de toutes les autres, à l'Eglise catholique.
On constate actuellement un mouvement de réac­tion contre l'état social institué en France par la Révolution. On institue partout des syndicats, on re­tourne aux corporations. Puisse ce mouvement aboutir à la restauration de la société dans son état normal ! Dans la société normalement organisée, il y a entre l'individu et l'Etat des sociétés intermédiaires qui en­cadrent les individus et qui par leur action naturelle maintiennent l'Etat dans le domaine qui lui appar­tient et l'empêchent d'en sortir. Ces sociétés se nom­ment : familles, corporations, communes, provinces, Eglises. Que, dans ce régime, le plus faible des individus soit lésé par l'Etat ou par tout autre, aussi­tôt c'est son association, c'est toute une collecti­vité organisée qui se lève pour le défendre. Par elle, il est fort; et parce qu'il est fort, il est libre.
La démocratie, c'est l'esclavage.


1. J.-J. Rousseau n'est point, à proprement parler, l'in­venteur du contrat social. C'est un protestant, Hubert Languet, qui, dans le Vindiciai contra tyrannos, sous le pseudonyme de Junius Brutus, exposa pour la première fois la théorie d'un « contrat », origine de la société.
Il est aussi absurde de supposer un. pacte primitif fondamental de la société publique, qu'il serait absurde de supposer un pacte constitutif de la famille entre le père et les enfants. Bonald dénonce le cercle vicieux où tombe Rousseau : « Une loi, ne fût-ce que celle qui réglerait les formes à suivre pour faire la loi; un homme, ne fût-ce que celui qui l'aurait proposée, aurait toujours précédé cette prétendue institution du pouvoir, et le peuple aurait obéi avant de se donner un maître ». Bossuet avait dit avant de Bonald : « Bien loin que le peuple en cet état (sans loi et sans pouvoir) pût faire un souverain, il n'y aurait même pas de peuple ».


2. Contrat social, livre I, ch. VI.